Marcel Proust est mort il y a cent ans, à Paris, le 18 novembre 1922, à 51 ans. Le style de Proust est d’abord identifié par sa phrase, longue et complexe, ce qu’il reconnaît : « Je suis bien obligé de tisser ces longues soies comme je les file, et si j’abrégeais mes phrases, cela ferait des petits morceaux de phrase, pas des phrases » (« Correspondance », V, p. 288). Le mouvement de la phrase de Proust a été analysé par plusieurs critiques, comme L. Spitzer et J. Milly (lire son article « Phrase » du « Dictionnaire Marcel Proust », A. Bouillaguet & B. G. Rogers (dir.), Champion, 2014). Le rythme de la phrase de Proust fait alterner la tension et la détente et sa structure comporte de nombreuses ramifications, avec des éléments retardants (parenthèses, commentaires, ...). Paradoxalement, même si la phrase de Proust est très écrite, elle peut suivre les mouvements de la parole, comportant des traits d’oralité (exclamations et interrogations, segmentations, ...). On ne saurait définir une phrase modèle de Proust, avec une structure typique. La longueur de la phrase est souvent évoquée, mais elle est variable. « La longueur moyenne des phrases (...) est seulement de trois lignes et demie (format Pléiade) » (J. Milly, «op. cit. », p. 768). On rencontre même des phrases très courtes : « Il regarda l’heure. » (« Du côté de chez Swann »). Cette phrase est insérée entre deux longues phrases, qui la mettent en valeur. Proust « ne recourt à l’amplification que quand il aborde certains thèmes, certains personnages, lieux, arts » (J. Milly, « op. cit. », p. 769). Ainsi la plus longue phrase (à lire en ligne) de la « Recherche », qui se trouve au début de « Sodome et Gomorrhe », comporte un très long développement sur « les invertis » : « Sans honneur que précaire... » On trouve une autre phrase très longue dans la description du salon de Mme Verdurin : « Canapé surgi du rêve entre les fauteuils nouveaux et bien réels... » (« La Prisonnière »). Cela n’empêche pas Proust de cultiver la brièveté et la concision, notamment dans les maximes qui parsèment son roman, comme « L’amour, c’est l’espace et le temps rendus sensibles au cœur. » (« La Prisonnière ») ou « Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. » (« Le Temps retrouvé »).
Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.