Une des difficultés majeures du français est le décalage important entre l’orthographe et la prononciation, qui tient à deux raisons. Dans l’évolution de la langue, beaucoup de consonnes sont devenues muettes (« Bon usage », § 91 b 5°), comme le « -s » final marquant le pluriel des noms et des adjectifs ou de nombreuses finales (« plomb, laid, long, fusil, manger, ... »). La plupart des consonnes doublées se prononcent comme des consonnes simples (« homme, attendre »).
En plus, à partir du XIVe siècle, on a rajouté beaucoup de consonnes muettes empruntées aux étymons latins et grecs, car le français apparaissait comme un latin sans consonnes : « scauoir, phantosme, obmettre, ... » Dans certains cas, les lettres ajoutées servaient à indiquer la prononciation, comme « s » après le « e » sans accent dans « destruire » (= « é » fermé) ou « teste » (= « è » ouvert long).
De ces consonnes ajoutées qui étaient muettes, certaines ont disparu. Cependant, avec le temps, plusieurs se sont prononcées, par une influence en retour de l’écriture sur la prononciation (les linguistes parlent d’effet Buben). La Fontaine pouvait encore faire rimer « ours » et « toujours », le « -s » final étant muet. Au XVIIe siècle, les « -r » à la finale des infinitifs du type « finir » et « chanter » étaient muets ; « r » s’est ensuite prononcé dans « finir », mais pas dans « chanter ». Cette tendance à la prononciation des consonnes graphiques est toujours vivante : c’est fait pour « advenir», c’est en cours pour « dompter, exact ». Mais le décalage demeure, notamment dans le domaine grammatical : les verbes ont des conjugaisons très différentes à l’oral et à l’écrit.
Jean-Christophe Pellat est professeur de Linguistique française à l’Université Marc Bloch – Strasbourg 2.
Ses enseignements et ses recherches portent sur la grammaire et l’orthographe françaises, dans leurs dimensions historiques, descriptives et didactiques. Il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, 1994).
En complément de ses activités en France, il est responsable de différentes actions d'enseignement du français en collaboration avec des universités étrangères, notamment en Azerbaïdjan, en Iran et aux États-Unis.