La conjonction de coordination « ou » possède deux séries de sens différents, qui correspondent à deux opérations logiques distinctes, la disjonction exclusive et la disjonction inclusive. Il n’est pas toujours aisé de distinguer ces deux sens, comme dans les bases de données utilisées aujourd’hui. Le premier sens existe dès le début en français (v. 950) : la conjonction « ou » exprime le sens fort de son étymon latin « aut » : elle « marque une alternative dont l’un des termes entraîne l’exclusion de l’autre », comme dans « c'est l'un ou l'autre, il faut choisir ; la bourse ou la vie, oui ou non, tout ou rien, mort ou vif, pair ou impair, pile ou face » (TLFi). « Aucun de nous ne peut se sauver seul ; il faut que nous nous perdions ensemble ou que nous nous tirions d'affaire ensemble. Choisissez. » (J.-P. Sartre). « Ou » peut alors être renforcé par « bien » (« nous perdre ensemble ou bien nous tirer d’affaire ensemble ») ou répété devant chaque terme (« ou…ou », c’est chouette). Dans l’autre série de sens, le choix d’un terme n’exclut pas l’autre, comme dans « d'une manière ou d'une autre, de près ou de loin » (= latin « vel »). « Ça te serait-il égal que Bernard fût à Argelouse ou à Paris ? » (Mauriac). Dans cet exemple, les deux éventualités proposées sont indifférentes, peu importe l’une ou l’autre. On peut remplacer à l’écrit « ou » par « et/ou », qui indique l’addition et le choix. En cas d’incertitude, la situation peut aider à choisir la bonne interprétation. Quand on lit dans un menu de restaurant « fromage ou dessert », on doit choisir entre les deux possibilités qui s’excluent : c’est l’un ou l’autre, pas les deux. Quand on lit à l’entrée d’un cinéma « tarif réduit pour étudiant ou demandeur d’emploi », l’un n’exclut pas l’autre. Au tribunal, l’accusé est innocent ou coupable, le jury doit trancher. Et la bonne interprétation d’une conjonction peut avoir des conséquences juridiques capitales.
Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.