Le « sabot » désigne une chaussure faite d’une seule pièce de bois évidée, portée par les paysans (1512). Les filles bretonnes dansaient la « sabotée » avec leurs sabots. Mais dans son premier sens, plus ancien, un sabot est « une grosse toupie que l’on fait tourner avec un fouet », ce qui explique l’expression « dormir comme un sabot » (profondément) : quand « le sabot dort », « il tourne sur place tellement vite qu’il paraît immobile » (« Dictionnaire historique de la langue française »). Sabot a pris de nombreux sens, désignant notamment l’ongle très développé des chevaux et autres ongulés.
Les dérivés de « sabot » ont suivi une évolution intéressante. « Saboter », qui a d’abord signifié « heurter, secouer » (13e s.), a pris le sens de « faire vite et mal qqch » (1808), un travail, un devoir. Et, tant qu’à gâcher quelque chose, on peut « détériorer, détruire » un machine, une installation, civile ou militaire (1897) et, au sens abstrait, « compromettre, contrarier » un projet, une entreprise. Les deux noms dérivés du verbe ont suivi la même évolution : « un saboteur » a d’abord été quelqu’un qui joue à la toupie, puis un fabricant de sabots (1800), à côté du « sabotier ». « Saboteur » a désigné ensuite quelqu’un qui sabote un travail, le fait mal (1808), ou détruit quelque chose. Et le « sabotage » ne désigne plus la fabrication des sabots (1842), mais l’action de mal faire un travail (1897) ou de faire échouer un projet, une entreprise : « un grand nombre d'ouvriers avaient prôné le sabotage du travail » (R. Martin du Gard).
On a inventé une histoire sur l’apparition de ces sens négatifs. Lors de l’invention du métier à tisser, les ouvriers auraient lancé leurs sabots dans les machines pour les empêcher de fonctionner. Aucune preuve ne confirme cette histoire, d’autant que le sens de la destruction d’une machine est plus tardif que l’invention du métier à tisser mécanique par Jacquart en 1801. Bref, évitons de refaire l’histoire du mot comme un sabot.