« À l’œuvre on connait l’artisan » dit La Fontaine. Et l’artiste ? Les mots « artisan » et « artiste », tout en ayant la même source latine « ars, artis », sont issus, le premier de l’italien « artigiano » (XVIe s.), le second du latin médiéval « artista » (XVe s.). À l’origine, en français, ces deux mots, de sens très proche, désignent un « homme de métier ». Une distinction s’est opérée au XVIIIe siècle : l’artiste exerce un « art libéral », incluant un des « beau arts », l’artisan un « art mécanique ». Mais au XVIIIe s., un artiste « peut bien exercer une profession technique, mais à condition que son art mécanique suppose de l’intelligence (Trevoux 1711) : le cordonnier est un artisan, l’horloger est un artiste » (« Dictionnaire historique de la langue française »). C’est dire qu’une hiérarchie s’établit alors entre ces deux mots. Dès le XIXe siècle, l’artiste passe dans le domaine de l’esthétique, magnifié par le Romantisme (voir Baudelaire, « Le Confiteor de l’artiste »), avec les artistes maudits à la fin du siècle (« Poètes maudits » de Verlaine), qui souffrent de ne pas être compris. Aux artistes du langage se joignent les musiciens. L’artisan possède, lui, une réelle compétence technique dans son domaine, qui le rapproche aujourd’hui de l’artiste, comme dans l’artisanat d’art. Faisons le jeu des métiers. Depuis le XVIIIe s. les comédiens et comédiennes sont des artistes (arrivant au théâtre par l’entrée des artistes). Et les coiffeurs, les paysagistes, les cinéastes ? C’est là qu’on voit que la langue est un fait social et que la société définit la valeur des termes, subjective et évolutive.
Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.